Les infos qui suivent sont tirées et adaptées de la lecture de l’article Les jeux traditionnels du Nord, entre tradition ludique culturelle et modernité sportive de Mickaël Vigne et Christian Dorvillé (2009, https://socio-logos.revues.org/2332). Certains passages sont des copiés-collés juste un peu retouchés.

L’image puéril du jeu

C’est lors du changement de modèle entre la société agraire et la société industrielle, à la fin du XIXe siècle, que les sports (« compétitions physiques et ludiques, c'est-à-dire comme des compétitions non utilitaires, qui intègrent la mesure des performances physiques ») ont incarné les valeurs de cette nouvelle société (rôle sanitaire de l’exercice, standardisation des espaces, règles écrites unifiées, temporalité laïque, esprit de compétition et individualisme, technicité du geste efficace, mise en avant du record, calendrier…) et que les jeux traditionnels (rôle de sociabilisation de la pratique, règle locale négociée au cas par cas, temporalité festive et/ou religieuse, rencontre sociale conviviale, part du ludisme importante, aléatoire des rencontres, etc.) ont été dénigrés, présentés comme puérils.[1]

On retrouve ici les origines de l’une des peurs[2] qui freine l’adoption du jeu de rôle (JDR) par de nouveaux pratiquants potentiels : la peur du ridicule, autrement dit pour un adulte de se lancer dans une pratique « pour enfant », le jeu, et aux thèmes puérils, en particulier le médiéval-fantastique qui renvoie au merveilleux des contes pour enfants.

Toutefois, les succès auprès du grand public d’œuvres cinématographiques ou télévisuelles comme le Seigneur des anneaux (2001-2003), Harry Potter (1998-2011) ou Game of Thrones (2011-2017 et +) ont fait bouger les lignes sur ce dernier point. En ce qui concerne le « jeu pour enfant », c’est le succès économique du jeu vidéo et l’âge de ses pratiquants (ajouter des infos sur les trentenaires ?) qui changent le point de vue porté sur la pratique.

Le jeu de rôles, des valeurs à promouvoir

Puisque des mouvements de contre-culture se forment, notamment en s’appuyant sur l’authenticité du terroir, pour contester les effets négatifs de la société industrielle (individualisme, capitalisme, perte de valeur, etc.), au travers d’une société post-moderne*, le jeu de rôle pourrait gagner à mettre en avant ses valeurs particulières, proches de celles des jeux traditionnels : coopération, socialisation, plaisir, réflexion, exploration, imagination, culture partagée, etc.

 

(*Société post-moderne : 3e révolution du tourisme et du loisir : recherche du dépassement de soi [mais reste une compétition…], revendication du plaisir, à faibles contraintes.)

La structure « atomique » des pratiquants

Les jeux traditionnels étaient structurés en cercles, plus prétexte à la réunion qu’à la pratique en soit, sans codification uniforme ou stricte, sans visée compétitivité ni d’articulation nationale, au contraire des associations sportives et leurs fédérations et championnats.

On retrouve cette logique dans les clubs et associations de jeu de rôle, très indépendants de la Fédération française de jeu de rôle (FFJDR), qui n’est d’ailleurs pas représentative de ces associations et clubs. L’objet de cette fédération n’est pas d’organiser la pratique mais de défendre et promouvoir le loisir, de servir d’interlocuteur unique pour les médias.

Par ailleurs, les « championnats » de jeu de rôle, s’ils ont existés, ont été en grande partie abandonnés. Les raisons en sont a priori :

–la difficulté de « juger » objectivement et équitablement la pratique des tables au vu des variables du jeu : meneurs de jeu (MJ) et personnages-joueurs (PJ) aux capacités très vastes et diverses au sein d’un même corpus de règles, mais aussi à la grande variabilité de ces corpus de règles avec outre les choix effectués dans les règles officielles éditées (éditions, suppléments, règles optionnelles), mais aussi les règles issues des pratiques individuelles (règles maisons, « précédents ») ;

–l’accent porté sur la coopération des joueurs et le plaisir du jeu (fun) par opposition à une pratique compétitive et de performance.

Toutefois, les living campaign sont un exemple de pratique organisée dans le but, notamment, de créer une communauté de pratique « centralisée », homogène.

Le retour des jeux traditionnels : la culture régionale

Le jeu de la boule plombée.

C’est par l’angle de la culture régionale que les jeux traditionnels connaissent un nouveau souffle, et ce, pour différentes raisons :

–un aspect identitaire, autonomiste s’opposant à l’aspect centralisateur de l’Etat. L’ancrage territorial ou linguistique est alors mis en avant. Ce pourrait être le cas d’une valorisation d’un style francophone du jeu de rôle.

–La valorisation touristique d’une culture choisie, positive, représentée et exposée qui démarque un territoire par sa notoriété, son image. C’est le cas par exemple des musées, parcs à thèmes, des mises en spectacles, des festivals.

Les jeux, une tradition

La tradition se définit par une transmission de génération en génération d’une pratique qui demeure vivante (agissante, pratiquée), et ce, par mémoire orale, par conservation du patrimoine, par transmission du savoir le plus valorisé par des procédures codées.

Le jeu de rôle est né il y a plus de 40 ans, en 1974, créé par des personnes dans leurs vingtaines. Depuis, plusieurs générations se sont transmises la flamme, que ce soit par l’initiation de néophytes rencontrés par les primo-pratiquants, par la transmission à leurs enfants (2 fois 25 ans) ou par la création d’outils d’auto-apprentissage de la pratique (ouvrage de conseils, enregistrement de pratique, etc.).

L’inscription dans la modernité

La modernisation (renouvellement d’un devenir)

Il est signalé dans Les jeux traditionnels du Nord, entre tradition ludique culturelle et modernité sportive que la survivance des jeux traditionnels passe pour beaucoup dans leur sportification, à savoir dans leur adoption et leur adaptation aux « codes » du sport : règles écrites et uniformes, compétition et championnat (notamment international), institutionnalisation, baisse du niveau de violence toléré, fair play, etc., mais au prix d’une perte de leur identité. Ce serait un ultime recours face à la disparition progressive.

Le processus de sportification :

1.      Institutionnalisation avec formalisation des règles, des lieux, des temps, avec championnat, hiérarchie des performances, etc.

2.      Normalisation des entrainements et compétitions, des enseignements, la spécialisation des rôles et la sélection des techniques les plus efficientes

3.      Mise en scène et médiatisation

Cela entraine la mise en tension et la disparition des aspects communautaires, festifs, amicales caractéristiques des valeurs traditionnelles. C’est un risque de perte de singularité, d’acculturation.

La version sportive de la boule plombée.

A noter que le jeu de rôle est passé très tôt par une démarche de ce genre :

1.      Publication d’un corpus de règles unifiées par TSR avec Advanced Dungeon & Dragons en 1977, et institution de championnat de JDR, de living campaigns (Living City en 1987).

2.      Publication de scénarios et campagnes, développement de suppléments et règles se focalisant sur le développement et l’optimisation des personnages avec en particulier la troisième édition de D&D.

3.      GenCon ? Chaine sur YouTube comme celle de Wheaton ?

La patrimonialisation (perpétuation d’un héritage)

Dans La création ludique est-elle soluble dans le patrimoine ? - Culture et communauté du jeu de rôles grandeur nature, les pratiquants du grandeur nature (GN) s’interrogent sur les conséquences d’une inscription de leur pratique au titre du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, comme c’est le cas de certains jeux traditionnels, et concluent eux aussi sur la transformation de la pratique qu’impliquerait une telle démarche, appliquée en particulier aux savoir-faire en matière d’artisanat ou encore d’organisation sur lesquels reposent le grandeur nature. Le risque serait de figer une pratique, n’en conserver que les éléments les plus visibles, les artefacts.

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00631243/document

Application au JDR

On peut donc s’interroger sur la « forme moderne » du jeu de rôle et sur les savoirs à « patrimonialiser ».

En ce qui concerne la forme moderne du JDR, se pourrait être le jeu vidéo (JV), née à peu près en même temps et qui s’est beaucoup inspiré du jeu de rôle (Tactical RPG japonais, adaptation de Donjons et Dragons en jeu vidéo, jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs : les MMORPG).

A développer :

Les valeurs du JV ?

Les particularité du JV :

·         Absence de manuels (que ce soit sur l’univers ou les règles) nécessaires à la pratique, ou alors sous la forme d’une partie de tutoriel ;

·         Possibilité de jouer seul aussi bien qu’en très grand nombre ;

·         Absence de préparation du jeu ;

·         Absence de contrainte d’horaire et de durée du jeu ;

·         Beauté visuelle de l’interface ;

·         Automatisation des règles de gestion des ressources (durée d’effet, nombre de points) et des contraintes (portée, défense) ;

·         Etc.

Pratique compétitive (championnats avec récompenses, joueurs professionnels) ?

Pratiques imprévues : speedrun, cosplay, etc.

 

Ou bien les jeux de sociétés modernes : diversité des formats de pratique de jeu, avec les jeux fillers à durée courte et faible nombre de joueurs à caser entre deux parties pour les perdants, ou lors de courts temps morts, jeux simples mettant l’accent sur le fun pour faciliter la sociabilisation, échauffer les échanges, jeux à seulement deux joueurs, jeux en solitaire, etc.



[1] Mickaël Vigne et Christian Dorvillé, 2009. Les jeux traditionnels du Nord, entre tradition ludique culturelle et modernité sportive. https://socio-logos.revues.org/2332

[2] Les autres étant la peur de l’obscène et la peur de XXXXX, cf. ouvrage sur l’improvisation.