L’imposant marteau de guerre s’écrasa sur le museau de la vermine de choc.

Le skaven au pelage noir de jais s’effondra face contre dalle, dans un fracas de sang, de couinements et de déjections.

Paniqués, les quelques skavens restants prirent la fuite dans un concert de sifflements et d’insultes, il serait tout de même stupide de mourir pour si peu et de voir le statut de leur ex-chef bien aimé et longuement flatté échoir à plus opportuniste.

« Ces saloperies ont moins de couilles qu’une donzelle mais, par Sigmar, elles galopent vite ! » railla l’un des miliciens, visiblement soulagé à l’idée de ne pas s’être frotté à ces créatures sordides dont il est pourtant officiellement admis qu’elles n’existent pas.

« Elles sont juste bonnes à tendre des guet-apens et à kidnapper des petites filles » répliqua un autre, après avoir craché sur la dépouille de la vermine « Je ne m’attendais pas à trouver ce genre de choses juste sous mes pieds ».

La capture un jour plus tôt de la fille du riche Baron von Openstseffl, probablement en vue d’en faire une esclave de choix ou pour régler un différend commercial avec un quelconque rival, avait mis en émoi toute la bonne société Altfordienne.

Les rares témoins qui n’avaient pas fini éviscérés faisaient état, pour certains, d’hommes-bêtes lourdement poilues, voûtées et griffues… et, pour Will «  la Picole », ex-milicien estropié conspirationniste, de « putain de rats gigantesques ! ».

Au-delà de l’embarras évident suscité par cette description contraire à la politique négationniste impériale, cette triste situation avait surtout attisé la convoitise de plusieurs compagnies, plus louches les unes que les autres.

Chacune faisait valoir sa fine connaissance du ragondin et autres espèces assimilées afin d’empocher le juteux contrat.

Mais, c’est finalement à un détachement des Templiers de Sigmar, proches du Baron von Openstseffl, qu’a incombé cette tâche.

... Après tout, même un capitaine templier a besoin d’arrondir ses fins de mois, non ?

À bout de souffle, les muscles hurlant de douleur, je relevais mon arme imbibée de sang et d’une fine pellicule de toison sombre. J’eus un léger frisson en examinant la table de mon arme, et sentis mes tétons durcir sous mon tricot. Peut-être l’excitation face à une mort que certains bigots érudits auraient jugée probable, ou le spectacle de mon adversaire s’effondrant à mes pieds, ou tout simplement l’abstinence... Je ne saurais trop dire, vraiment.

« Félicitations frère-sergent » complimenta Boros de Myr, l’un des frères-chevaliers dépêchés sur place.

Sa main lourdement gantée flatta mon trapèze saillant, et en légère sudation.

« Vous », reprit-il en désignant les deux miliciens d’un doigt inquisiteur, « cherchez des traces de la petite von Openstseffl, m’est d’avis que cette vermine n’a pas voulue s’encombrer d’un otage dans sa fuite ».

L’un des miliciens fit la grimace.

« Mais… euh, Messire » demanda t’il en pointant les galeries sombres « Vous êtes bien certain qu’il n’y en a pas d’autres ? »

Le frère-chevalier prit un air grave, le regard dans le lointain « Sigmar sait reconnaître les siens, sa lumière vous protègera ».

Son interlocuteur se frotta la nuque, mal à l'aise « C’est que… vous comprenez… Sigmar, y va pas descendre du ciel pour rosser ces saloperies ».

« Et à quoi servent vos épées, bande de pisseuses, à épater les pucelles au marché du dimanche ? », Boros s'empourpra, « Bougez-vous et ratissez-moi ces galeries avant que je vous ratisse le croupion ! »

Les deux miliciens ne se firent pas davantage prier. S’armant d’un courage rare pour des troufions payés quelques couronnes l’année (hors racket), ils s’engouffrèrent dans la première alcôve venue, le cliquettement de leur maille couvrant celui de leurs dents.

Nous n’eûmes cependant pas à chercher bien longtemps… Son corps sans vie attendait notre venue, patiemment, une quarantaine de pieds plus loin.

Elle était là, à l’entrée d’un passage se terminant sur une voie sans issue.

Tandis que les miliciens surveillaient les alentours, je posais le genou droit à terre, et observais avec un mélange de tristesse et de fascination le spectacle de ses habits de petite fille en lambeaux. Ses ongles, lorsqu'ils n’étaient pas arrachés, étaient noirs de crasse, et son crâne scalpé par endroit.

Son visage, lui, semblait comme figé par la peur... peut-être du Skaven dont la lame manifestement crantée et probablement rouillée lui a mis les entrailles à nue de l’aine au thorax.

« Le frère-capitaine ne va pas être content » souffla Boros de Myr.

Je hochais la tête, Morr l’avait prise dans l’heure. Si nous n’avions pas perdu notre temps à pourchasser ces Skavens, peut-être serions-nous arrivés à temps.

« … et la mission n’aurait pas été un échec » murmurai-je, alors que de légers couinements à peine audibles attirèrent mon regard vers le fond de la galerie, où de petits yeux apeurés m’observaient.

Il était plus petit que ses acolytes, plus frêle et vêtu d’un simple pagne crasseux, mais armé d’un long poignard à la lame « manifestement crantée et probablement rouillée ».

Comprenant que je l’avais vu, il lâcha spontanément son arme et se mit à chercher frénétiquement une issue dans l’épaisse muraille située derrière lui, tel un simple rat pris au piège.

En vain.

Je posais mon marteau de guerre, le regardant faire, j’en étais presque affligé par tant de détresse.

Machinalement, j’écartais mes mains en signe d’apaisement, et parais mon visage en sueur d'un sourire chaleureux et bienveillant.

« Du calme, je ne te ferai aucun mal » prononçais-je alors que je m’approchais doucement de lui.

Le Skaven se retourna brusquement, ramena ses petites pattes griffues et tremblantes près de son ventre et les serra fort.

« Oui-oui… Skouirk gentil-gentil, pas faire mal à Skouirk » dit-il d’une voix fluette et sifflante.

Il flaira machinalement dans ma direction, cherchant probablement à déterminer si, comme ses congénères, mes sécrétions caractérisaient mon humeur.

Moi, je ne flairais que la pisse froide et le poil mouillé.

Il se recroquevillait doucement à mesure que je m’approchais de son corps dégénéré. Il était définitivement et anormalement plus petit que la moyenne des hommes-rats qu’il m’ait été donné d'observer, une tare certainement compensée par son insondable servilité ou quelque talent caché.

Étrangement, je n’envisageais à aucun moment qu’il puisse constituer une quelconque menace, alors que mes mains protégées par le cuir et bardée de mailles se posaient lentement sur le haut de son museau, sous le regard médusé des miliciens.

« Par Sigmar, vous n’entendez pas toucher cette chose ? » lança l’un d’eux.

Le skaven se laissa faire, courbant son échine entre deux couinements plaintifs, probablement pour renforcer l’intensité dramatique de sa performance.
« Chose-homme beaucoup-fort » siffla t’il sur un ton admiratif et soumis « Skouirk gentil-gentil. »

Je le regardais fixement, cherchant une quelconque lueur de sincérité dans son regard paniqué. Mais, il n’y avait là aucun regret, aucune repentance, simplement la volonté de survivre à n’importe quel prix.

« Oui… Skouirk gentil-gentil » dis-je à voix basse, alors que mes doigts s’enfonçaient lentement dans ses yeux carmins, et que ses hurlements stridents inondaient les galeries de l’Empire souterrain.

Non, les skavens n’existent pas.