Qui revient de loin

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Tag - Tend Befriend

Fil des billets

La théorie de la fiction-panier, par Ursula K. Le Guin

A lire dans le cadre des réflexions sur le jeu en mode tend & befriend, cet essai d'Ursula K. Le Guin : La théorie de la fiction-panier (1986 ; traduit de l’anglais (US) par Aurélien Gabriel Cohen en 2018).

D'après Dr Hiatus sur Casus No, ça expliquerait "qu'au lieu d'avoir l'histoire d'un type avec son arme qui va défoncer un méchant, et qui devient le centre de l'Histoire même pour tout le monde, on peut raconter l'histoire de quelqu'un qui récolte des ressources ou des rencontres, et que ça change tout."

Chapô de l'article : "En mobilisant toutes les ressources de l’imaginaire et à rebours d'un storytelling dominant qui glorifie le Héros, l’écrivaine féministe Ursula K. Le Guin explore, dans cette traduction inédite d’un texte de 1986, d’autres possibles narratifs pour cueilleur·se·s d’histoires et d'avoine sauvage.

Héroïsme et cueillette, des plaisirs finalement similaires ?

Avant d'avoir lu l'article, je voyais un parallèle avec la thèse très intéressante de Marie Cheree Bellenger Prendre au sérieux les loisirs de prédation : chasse, pêche, cueillette et naturalisme dans l’estuaire de la Seine (2017).

Elle y montre que chasseurs, pêcheurs, cueilleurs et naturalistes vivent tous les mêmes 5 plaisirs :

  1. une immersion dans la nature  et  un  usage  exacerbé  des sens : la traque (remonter la piste des traces, rechercher les biotopes favorables aux cèpes, etc.);
  2. une émotion liée à la découverte  des  espèces  animales  ou végétales recherchées ;
  3. une envie de « capturer » ce moment selon des modalités allant de  la  coche de la check-list d'observation au  fusil  de  chasse,  en  passant par l’appareil photo et le panier ;
  4. pour  en  tirer  un  trophée, c'est-à-dire une preuve de la capacité du pratiquant à maîtriser son environnement, à s’y fondre (peau de bête, poêlée de champignons, album photos de papillons, herbier, etc.)  ;
  5. enfin, tous ces éléments construisent et s’appuient sur  une  certaine  définition  de  la « nature » comme locale, sobre, familière, accessible mais pour autant  difficile  à  apprécier  réellement, réservée aux initiés (connaissance des coins à truites, des heures et couloirs de migration, etc.).

Selon la même analogie, on pourrait créer des aventures non violentes (donc éloignées de la "chasse" ou de la "pêche" de monstres, d'ennemis) mais cherchant plutôt à découvrir des choses et à les transformer en souvenirs, façon "cueillette" ou "naturalisme".

Source.

Fiction-panier, fiction-lance, fiction-missel?

Après avoir lu le papier de Le Guin, j'avoue que je ne suis pas transcendé.

Déjà parce que je suis déjà convaincu, d'où mes réflexions sur le tend & befriend, que l'on peut sortir de la "fiction-lance" -pour reprendre l'analogie et l'image phallique- du héros trucidant ses ennemis. Ensuite parce que l'article n'apporte pas vraiment d’éclairage pratique sur la façon d’appliquer la théorie de la fiction-panier, et ce après avoir montré comment elle pet être de prime abord moins valorisée/valorisante que la "fiction-lance".

Enfin, cette lecture m'a donné l'impression qu'il manquait un élément au système qu'elle décrit, où elle oppose fiction-panier et fiction-épée.

Cet élément, c'est le 3e pôle des fonctions tripartites indo-européennes, que l'on connait notamment par la société des 3 ordres du Moyen-Âge : ceux qui travaillent (fiction-panier), ceux qui combattent (fiction-lance) et... ceux qui prient.

Je pense donc que l'on pourrait ajouter au système un 3e mode de fiction : la fiction-missel (ou fiction-crucifix ? fiction-prière ?).

Certes, dans nos sociétés occidentales la sécularisation a effacé grandement la spiritualité et brisé ces fonctions tripartites, mais il y eu une époque où il y avait des romans religieux, où le saint et la Passion étaient des thèmes centraux dans les discours et la "fiction", de même que les vertus religieuses (la foi, l'espérance et la charité ; la justice, la prudence, la force d'âme et la tempérance) et d'autres émotions et valeurs qui ne sont plus d'actualité (cf. l'amour courtois et le roman courtois ; les émotions collectives, notamment religieuses).

Bon, c'est très théorique car je ne pense pas qu'il y ait, du moins en France, beaucoup d'appétence pour jouer des aventures religieuses. Mais ça pourrait intéresser nos voisins anglo-saxons qui ont eu leur lot de JDR "bibliques".

Bibliographie

Ressources pour jeux bienveillants

Le but de du développement du jeu bienveillant (care en anglais) est de proposer une autre façon de se faire plaisir en jeu de rôle, pas de remplacer un plaisir par un autre, et ainsi toucher aussi de nouveaux publics qui ne sont pas intéressés par les plaisirs actuels développé en JDR (conflit, énigme, conquête, puissance, etc.).

Par ailleurs, le jeu bienveillant n'a pas besoin d'être exclusif, de ne faire que ça, tout le temps, mais peut aussi être pensé comme une possibilité pour une scène, un scénario, une campagne voire un jeu auquel l'on jouerait entre 2 parties de Warhammer et de Cyberpunk, plus sombres, plus cyniques et plus gritty. Il peut être l'enjeu principal d'un jeu ou d'une campagne, comme n'être que quelques grammes de tendresse dans un monde de brutes.

Le propos n'est toutefois pas de dire qu'une façon de designer, présenter, jouer n'est pas bien, mais de dire qu'elle se base sur des assomptions particulières qu'on a crues être générales (créer du stress pour déclencher des comportement d'agression ou de fuite) avant de se rendre compte qu'elles n'étaient que spécifique à une certaine population (plutôt des hommes, jeunes, occidentaux), et ce dans un degré variable.

Partant de là, la logique est de se demander comment l'on pourrait aussi designer, présenter, jouer des jeux, des scénarios ou des scènes basée sur une autre spécificité (gérer le stress par le care), elle-même répandue à des degrés variables dans la population.

Voici une liste de ressources pour créer des "jeux qui ont du cœur" :

  • Le manifeste Carewave.
  • kits pour créer des jeux (vidéos) bienveillants : les iThrive Design Kits, qui traitent de gentillesse, d'empathie, de développement, de coopération, de curiosité, de gratitude, de pardon, de cause, d'optimisme et de joie de vivre.

    iThrive Design Kits spark inspirations for designing fun and engaging games for players to build strengths for thriving. We created the kits to be flexible and example-rich, offering possibilities for innovative design.
    Based on the science of habits for thriving, iThrive Design Kits are co-developed with expert game developers and scholars. Developers of all experience levels use these to create compelling and innovative strengths-based game prototypes. Hundreds of prototypes have been created using iThrive Design Kits.

Voici aussi quelques jeux qui développent le thème de la bienveillance :
  • Ryuutama
  • Blue Rose
  • Tales of Equestria
  • Golden Sky stories
  • Night witches (même si les thématiques du jeu sont dures)
  • Summer camp

Les 10 règles d’un univers de jeu bienveillant

J. “Brand” Larré a exposé sur son blog un billet décrivant les univers et les scénarios comme des sous-système de jeu. On pourrait se demander quels seraient les sous-systèmes d’un univers encourageant un jeu bienveillant. Voici une ébauche de liste :


  1. Un monde juste (cf. les 4 mondes) ;

  2. Face à l’adversité, les gens se rapprochent et se protègent (T&B) (<>L’homme est un loup pour l’homme/loi de la jungle) / 2 bis: Les rencontres sont sympathiques et sources d’opportunités

  3. Il n’y a pas de Méchant, juste de l’altérité (<> manichéisme, alignements “mauvais”)

  4. Mon pire ennemi peut devenir mon meilleur ami (esprit shonen)

  5. La raison et le bagout sont toujours l’ultime recours, tous les adversaires sont raisonnables (y compris les animaux) (<> escalade de la violence, guerre comme continuité de la diplomatie)

  6. Il y a toujours du calme au coeur d ela tempête (cosyness)

  7. La nourriture et le repos, c'est important (tend, cosyness)

  8. L’art, la construction, la création, c’est important (tend, crafting)

  9. Le voyage est une aventure, même dans des environs très proches

  10. On ne meurt pas

  11. Les gens sont libres et autonomes (<> aliénation des mondes dystopiques ou féodaux)

  12. Voir la vie du bon côté

  13. L’abondance est présente (cosyness)


Les 4 mondes

T. Munier évoque dans son podcast Outsider N°37 : Game Design Jeu de Rôle : Mon personnage et moi #6une application rôlistique de la théorie de la croyance en un monde juste, déjà utilisée par Le Grümph dans Dragon de Poche, où il est précisé que si les personnages se comportent à la loyale, l’adversité du monde restera importante, mais ils pourront être sauvés à la dernière minute par l’intervention propice d’un PNJ ou ce genre de choses. Si les personnages se comportent comme des salauds, le monde du jeu ne leur fera aucun cadeau (tout ceci est laissé à l’appréciation du MJ).


T. Munier propose donc l’existence de 4 mondes, ou logique interne d’univers :

  1. monde juste : toute bonne action est récompensée, toute mauvaise action est punie ;

  2. monde injuste : les bonnes actions ne sont pas  récompensées, les mauvais sont généralement bénéfiques à ceux qui les commettent ;

  3. monde chaotique : une même action peut provoquer des réactions différents, positives comme négatives ;

  4. monde transactionnel : ? (échanges à somme nulle ? Rien n'est donné, tout est coûteux)

Dans ce cadre, un jeu bienveillant suppose un univers qui fonctionne avec le principe du monde juste comme jeu de basse, par opposition à un jeu plus sombre qui privilégierait plutôt des mondes transactionnels ou injustes.


On peut généraliser avec le "monde [valeur]" à la fois pour encourager une valeur et décourager la valeur inverse à travers la fiction. Cette approche nécessite que les joueurs soient au courant de cette règle, et soient convaincus qu'elle est bien appliquée ("J'achève le stormtrooper car la dernière fois le MJ m'a pris en traitre en faisant revenir dans mon dos ceux au j'avais laissés inconscients") notamment par la discussion avec les joueurs (contrat social).